Fidélité et infidélité : entre promesse, désir et vérité intérieure
- Annaëlle KERYER
- il y a 1 jour
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Dans l’imaginaire collectif, la fidélité va de soi. Elle serait le socle de tout couple qui se respecte, le signe ultime d’amour et de loyauté. Pourtant, lorsqu’on prend le temps de questionner ce mot, on s’aperçoit qu’il recouvre des réalités bien plus complexes.
Qu’appelle-t-on exactement fidélité ? À quel moment commence l’infidélité ? Et surtout… à quoi choisit on d’être fidèle : à l’autre, à soi, à une norme sociale, à une valeur intime ?
Ces questions traversent depuis longtemps philosophes, sociologues et psychologues. Mais elles restent brûlantes, car elles touchent au cœur de nos liens les plus vulnérables.
1. La fidélité : une évidence culturelle, une réalité mouvante
La fidélité est souvent perçue comme une valeur universelle et intemporelle, notamment en Occident. Le Larousse la définit comme la “qualité de celui qui respecte ses engagements, sa parole.” Dans le couple, elle évoque généralement l’exclusivité amoureuse et sexuelle, la constance et la promesse silencieuse de ne jamais trahir.
Pendant des siècles, cette fidélité a été associée à l’exclusivité sexuelle, encadrée par les institutions religieuses et sociales. Le mariage scellait autant l’union charnelle que patrimoniale. Cette conception persiste encore aujourd’hui, nourrie par l’idée romantique de l’“âme sœur” : trouver l’unique et lui rester fidèle “jusqu’à la fin”.
Pourtant, les recherches sociologiques montrent que cette vision n’est ni universelle, ni intemporelle. François de Singly souligne que la famille conjugale contemporaine repose sur une relation choisie, négociée, où chacun cherche à s’épanouir tout en préservant son autonomie. Dans d’autres cultures, des formes variées existent : polyamour, mariages multiples, couples ouverts.
En réalité, de plus en plus de couples inventent leurs propres règles, remettant en question les normes traditionnelles.
Ici, une distinction essentielle apparaît :
La fidélité engage nos choix, notre cœur, notre alignement avec nos valeurs.
La loyauté traduit la constance et le soutien envers l’autre, même dans l’épreuve.
On peut être loyal sans être fidèle au sens romantique, ou fidèle à soi sans toujours rester loyal dans l’action.
2. Fidélité à soi, fidélité à l’autre
Être fidèle, est-ce ne jamais désirer ailleurs ? Ne jamais franchir une limite physique ? Ou rester aligné avec ses valeurs, même si elles ne coïncident pas avec celles de son partenaire?
La psychologie contemporaine distingue deux formes :
La fidélité à soi : respecter ses besoins, ses limites, sa vérité intérieure.
La fidélité à l’autre : respecter le pacte implicite ou explicite du couple (loyauté, exclusivité, engagement).
Ces deux fidélités peuvent entrer en tension. Une personne peut ressentir le besoin de nouveauté ailleurs tout en souhaitant rester engagée. Ce dilemme provoque souvent culpabilité ou incompréhension surtout s’il n’est pas verbalisé.
Carl Rogers insistait sur l’importance de l’authenticité pour une vie relationnelle épanouie (On Becoming a Person, 1961). Jean-Claude Kaufmann souligne l’équilibre recherché entre autonomie et fidélité (La Trame conjugale, 1997).
Dans une approche systémique, Robert Neuburger explique que certains comportements d’infidélité ne sont pas voir comme des "fautes" mais plutôt des signaux : ils expriment des besoins non satisfaits, parfois hérités de cycles relationnels anciens.
Exemple :En consultation, une femme m'explique s’être sentie attirée par un coach de sport. Son compagnon se sent trahie, même sans passage à l’acte. En travaillant ensemble, le couple découvre que ce lien extérieur n’exprimait pas un désir amoureux, mais le besoin pour elle de se sentir regardée, reconnue, ce qu’elle n’osait plus demander dans son couple. Ici, l’infidélité est apparue comme un langage maladroit, un appel à réajuster la relation.
3. Les multiples formes de l’infidélité
L’infidélité ne se limite pas à l’acte sexuel. Sa définition varie selon les individus et les cultures.
Infidélité physique : rapport sexuel ou charnel en dehors du couple. C’est la plus visible et la plus sanctionnée socialement.
Infidélité émotionnelle : attachement profond à un tiers (confidences, exclusivité affective). Eva Illouz (Pourquoi l’amour fait mal, 2011) montre combien elle peut fragiliser le sentiment d’unicité dans le couple.
Infidélité virtuelle : sextos, échanges intimes en ligne. Döring (2014) rappelle que le virtuel peut générer des émotions aussi puissantes que la réalité.
Infidélité liée à une addiction : comportements compulsifs (pornographie, prostitution, applications). Ici, le vécu du partenaire est celui d’une trahison, mais l’origine est souvent psychologique et nécessite un accompagnement spécifique.
La zone grise de la séduction : amitiés ambiguës, regards appuyés, complicité teintée de désir. Shirley Glass (Not Just Friends, 2003) souligne que la plupart des infidélités commencent ici : non par le sexe, mais par l’ouverture émotionnelle à un tiers.
Ces frontières sont subjectives. Pour certains, un simple message suffit à se sentir trompé ; pour d’autres, seule une relation sexuelle compte vraiment.
4. Croyances et injonctions autour de la fidélité
Nos représentations de la fidélité sont nourries de croyances souvent implicites :
“Si tu m’aimais vraiment, tu ne pourrais pas désirer ailleurs.”
“Une fois infidèle, toujours infidèle.”
“Être fidèle est naturel.”
Historiquement, la fidélité a été codifiée par les institutions religieuses, souvent de manière asymétrique entre hommes et femmes (Françoise Héritier, Masculin/Féminin). Aujourd’hui, elle se confronte à l’idéal d’épanouissement personnel : rester fidèle est valorisé, mais parfois vécu comme contraignant (Eva Illouz, 2011).
Nos histoires familiales façonnent aussi nos seuils de tolérance. Ce qui est perçu comme un jeu léger pour l’un peut être une trahison insupportable pour l’autre.
5. Quand commence vraiment l’infidélité ?
C’est souvent la question la plus douloureuse.
Pour certains, un simple échange de messages au ton séducteur peut suffire à ressentir une trahison. Pour d’autres, une proximité physique ou une complicité particulière restent acceptables, tant qu’il n’y a pas de passage à l’acte. Et il existe encore des couples, comme dans le libertinage, où la sexualité partagée en dehors du couple n’est pas vécue comme une infidélité, car la fidélité se définit alors dans le cœur, dans la confiance et dans l’engagement affectif.
La sociologue Eva Illouz (Pourquoi l’amour fait mal, 2011) rappelle que la modernité amoureuse est marquée par des frontières floues : chacun doit redéfinir ses propres accords et négocier ce qui constitue, pour lui, une trahison.
5.1. Le seuil décisif : de l’attirance au geste
Ressentir une attirance est humain, universel et inévitable. Mais l’infidélité ne commence pas dans le désir : elle commence au moment où l’on choisit d’agir, même de façon minime. Envoyer un message un peu “flirty”, entretenir un jeu de charme, savourer une complicité teintée d’ambiguïté… Ce sont souvent ces micro-gestes qui marquent le passage de l’amitié ou de l’admiration innocente vers une zone perçue comme une trahison.
5.2. L’importance de l’intention
La psychologue Shirley Glass (Not Just Friends, 2003) montre que la plupart des infidélités ne commencent pas par le sexe, mais par une ouverture émotionnelle et séductrice à une autre personne. Le basculement se produit lorsque l’on ferme peu à peu la porte de son intimité au partenaire pour l’ouvrir à un tiers.
5.3. Des zones grises difficiles à définir
L’infidélité ne commence pas seulement “quand il se passe quelque chose”. Elle commence quand l’un des deux se sent trahi, exclu ou remplacé. Pour certains, un simple échange virtuel ou un regard appuyé suffit. Pour d’autres, seule la relation sexuelle marque réellement la rupture du pacte.
En thérapie de couple, la question devient centrale : “Où placez-vous, chacun, la limite ? À partir de quel geste ou intention considérez-vous qu’il y a trahison ?”
Clarifier ce seuil, loin d’être une contrainte, est une manière de protéger la confiance et de poser des bases relationnelles conscientes et choisies.
Trois questions pour clarifier vos propres règles à deux
Qu’est-ce qui, pour moi, constitue une trahison ?
Qu’est-ce qui est acceptable dans notre couple ?
Comment souhaitons nous nous protéger mutuellement ?
Ces réponses évoluent avec le temps, l’expérience et la maturité du lien.
6. Ce que révèlent fidélité et infidélité
L’infidélité n’est pas qu’un écart ponctuel. Elle agit comme un révélateur, parfois brutal, de ce qui circule — ou ne circule plus — dans le couple.
Elle peut traduire des peurs :
peur de ne pas être suffisant,
peur d’être abandonné,
peur de perdre son identité dans la relation.
Elle peut aussi révéler des désirs :
désir de sécurité, de loyauté et de continuité,
désir de nouveauté, d’interdit, de reconnaissance ailleurs.
Ce paradoxe surprend : comment le désir de sécurité peut-il mener à l’infidélité ?👉 Par exemple, certaines personnes, très attachées à leur couple, peuvent craindre de le mettre en danger en exprimant leurs frustrations ou leurs désirs. Elles vont alors chercher à combler ce manque à l’extérieur, pensant préserver ainsi la stabilité de la relation principale. L’infidélité devient, paradoxalement, une manière de « sauver » le lien, en évitant de confronter directement la fragilité du couple.
Mais surtout, l’infidélité met en lumière une double dynamique :
Un choix personnel : il y a toujours un moment où l’on décide de franchir une ligne, d’envoyer ce message ambigu, d’accepter ce rendez-vous. Cette responsabilité appartient à celui qui agit.
Un symptôme relationnel : ce choix est souvent nourri par un besoin non satisfait dans le couple — un besoin non exprimé, ou exprimé mais non entendu.
Comme le rappelle Esther Perel (Mating in Captivity, 2006), nous oscillons en permanence entre deux besoins fondamentaux : sécurité (stabilité, fidélité) et liberté (désir, nouveauté). L’infidélité, lorsqu’elle surgit, n’est pas seulement une « faute » : elle révèle ce tiraillement, et interroge la capacité du couple à se dire la vérité sur ses manques, ses désirs et ses peurs.
Il est important aussi de le rappeler : toutes les infidélités ne sont pas le reflet d’un manque ou d’une souffrance. Certaines traduisent simplement une absence d’amour, un désinvestissement de la relation, voire un manque de respect envers le partenaire. Dans ces cas, l’infidélité ne révèle pas seulement un symptôme du couple, mais une vérité plus brute : le lien n’est plus désiré, ou il n’est plus habité d’une loyauté affective.
Conclusion
La fidélité n’est pas une règle universelle, mais une construction intime et culturelle. Elle ne se réduit pas à “ne pas tromper” : elle interroge ce à quoi nous choisissons d’être fidèles — à l’autre, à nous-mêmes, à nos peurs ou à nos valeurs.
Et parfois, l’infidélité vient dire une vérité plus simple et plus radicale : celle d’un amour qui s’éteint, ou qui n’est plus habité. Car au fond, c’est bien l’amour qui donne sens à la fidélité. Quand il circule, la fidélité peut devenir un choix vivant, incarné, qui nourrit le lien. Quand il s’étiole, elle peut n’être plus qu’une contrainte ou un simulacre.
Plutôt que de chercher une définition figée, l’essentiel est d’oser parler vrai : À quoi suis-je fidèle, aujourd’hui ? De quoi ai-je besoin que tu sois fidèle, pour que nous puissions nous aimer en vérité ?
Clarifier cela n’est pas un carcan : c’est une chance. Celle de bâtir un espace unique, choisi, où chacun peut se sentir respecté et reconnu, tout en gardant vivante la promesse de l’amour et du lien.
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