Le corps médical et le corps intime : quand les traitements modifient la sexualité
- Annaëlle KERYER
- 5 oct.
- 4 min de lecture
Un diagnostic de cancer bouleverse toute une vie. Les traitements qui sauvent transforment aussi le corps, parfois de manière invisible, parfois de façon très concrète. Entre le langage médical et ce que l’on vit dans son intimité, il y a souvent un grand écart. Cet article a pour but de mettre des mots simples sur ces effets, pour que chaque personne puisse se reconnaître et comprendre que ce qu’elle vit est normal, légitime et partagé.
1. Les traitements et leurs effets concrets sur la sexualité
Les traitements du cancer ne se limitent pas à “attaquer la maladie”. Ils modifient aussi le terrain corporel, hormonal, nerveux, émotionnel. Ces changements peuvent avoir des répercussions directes sur la sexualité, parfois temporaires, parfois plus durables.
Chaque traitement agit différemment, mais tous peuvent modifier la lubrification, l’érection, la sensibilité et le désir. Certains effets sont transitoires (fatigue, nausées, sécheresse) et s’améliorent avec le temps, d’autres peuvent être durables (cicatrices, zones érogènes modifiées).
Chimiothérapie : fatigue intense, nausées, sécheresse vaginale, baisse de la libido, troubles de l’érection, diminution de la sensibilité.
Radiothérapie : douleurs locales, rigidité des tissus, risque de sécheresse et de perte de souplesse (notamment au niveau vaginal ou rectal).
Hormonothérapie : ménopause induite, bouffées de chaleur, baisse du désir, troubles de l’érection, fragilisation des muqueuses.
Chirurgie : cicatrices visibles ou internes, ablation partielle ou totale (seins, prostate, organes gynécologiques, rectum), parfois stomies. Cela peut modifier la perception de son corps, sa confiance et ses sensations.
Médicaments associés (antalgiques, antidépresseurs, anxiolytiques) : fatigue, diminution du désir, troubles de l’orgasme.
Chaque corps réagit différemment. Vous ne vivrez pas forcément tous ces effets secondaires.
2. Mettre des mots sur l’expérience intime
Derrière les effets secondaires “techniques”, il y a la réalité vécue. Et elle mérite d’être nommée clairement :
“Je n’ai plus de désir.” → Les traitements perturbent les hormones et la vitalité globale, il est fréquent que l’envie baisse.
"J’ai mal pendant les rapports." → La sécheresse ou la rigidité des tissus peuvent provoquer des douleurs.
"Je n’arrive plus à avoir d’érection." → Ce n’est pas un manque de volonté : les nerfs, les vaisseaux ou les hormones sont directement impactés.
"Je ne sens plus rien comme avant." → Les zones érogènes peuvent réagir différemment, et cela peut être déstabilisant.
"Je me sens trop fatigué·e pour avoir envie." → La fatigue n’est pas psychologique, elle est biologique et réelle.
"J'ai honte de mon corps, et j'ai peur aussi d’être rejeté·e", → Cette sensation de ne plus être la même personne, la honte face au corps qui a changé, qui n'est plus ou ne réagit plus " comme avant" peut être très lourde à porter. Ces ressentis sont légitimes : ils disent le deuil d’un corps d’avant, la peur du regard de l’autre et parfois la culpabilité de ne pas “assurer” comme avant.
Ces phrases, beaucoup de patient·e·s les murmurent en consultation, parfois avec honte. Les dire, les entendre normalisées, est déjà une première étape de soulagement.
3. Quelles pistes concrètes pour retrouver le plaisir?
Parce que les difficultés sont réelles, il est important de savoir qu’il existe des ressources et des solutions :
Pour la sécheresse : lubrifiants adaptés (à base d’eau ou de silicone), hydratants vaginaux réguliers, gels spécifiques.
Pour les troubles de l’érection : médicaments (sous prescription), dispositifs mécaniques (anneaux, vacuum), accompagnement sexothérapeutique pour diminuer la pression de “performance”.
Pour la perte de sensibilité : rééducation pelvienne, massages, exploration progressive avec ou sans jouets intimes.
Pour la douleur : adaptation des positions, recherche de confort, usage de coussins, arrêt dès que la douleur apparaît (le plaisir ne doit jamais être forcé).
Pour la fatigue : accepter que l’intimité ne se limite pas au rapport sexuel : caresses, tendresse, peau contre peau sont des gentes très nourrissantes,
Pour la honte, la culpabilité, la peur du regard de l'autre : Apprendre à observer son corps avec bienveillance (miroir, toucher, massage doux), ouvrir le dialogue avec son ou sa partenaire pour créer un espace de sécurité, se rappeler que la valeur d’une personne ne se réduit pas à sa performance sexuelle ou à l’intégrité de son corps, et découvrir de nouvelles façons d’entrer en connexion (gestes tendres, sensualité, jeux érotiques adaptés, complicité non génitale).
Autorisez vous à être différent·e, et reconnaîssez que la sexualité est vivante, mouvante, et qu’elle se réinvente tout au long des épreuves et de la vie.
4. Temporalités : quand et comment réintroduire l’intimité ?
Pendant les traitements : l’objectif est surtout le confort, le contact tendre et le lien émotionnel.
Après la chirurgie : attendre la cicatrisation complète, puis reprendre progressivement, avec douceur et adaptation.
En rémission : explorer à nouveau le désir, tester des solutions concrètes (lubrifiants, nouvelles pratiques).
Dans la chronicité ou les soins palliatifs : privilégier la tendresse, la présence, le plaisir sensoriel, sans chercher la performance.
5. Quand demander de l’aide spécialisée ?
Douleur persistante ou saignement
Infection ou symptômes aigus
Dysfonction sexuelle qui perdure malgré les mesures simples
Besoin d’accompagnement psychologique ou de guidance pour soi ou le couple
Le rôle du sexothérapeute est de compléter l’équipe médicale : écouter, déculpabiliser, donner une place aux émotions, proposer des outils pratiques, accompagner le couple vers une intimité renouvelée.
6. En résumé:
Entre médecine et intimité, il n’y a surtout pas à choisir : les deux se complètent. Comprendre que la sexualité est bouleversée par les traitements, c’est reconnaître une réalité humaine que les chiffres médicaux ne traduisent pas.
Retrouver une intimité après ou pendant un cancer demande du temps, du dialogue et parfois un accompagnement. Mais une certitude demeure : la sexualité ne disparaît pas avec la maladie, elle se transforme. Et dans cette transformation, il est possible de réinventer du lien, du plaisir, et surtout, de la tendresse pour soi et pour l’autre.
Vous n’êtes pas seul·e. Vos sensations sont légitimes. Et il existe des chemins pour réapprendre à sentir, toucher et désirer.




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